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La ville des nonnes

Dimanche 20 Mai, Arequipa

Puisque nous avons modifié notre programme, nous partons ce matin en direction du Monastère Santa Catalina, le monument le plus célèbre d’Arequipa. Cet immense monastère forme une vraie ville dans la ville dont il occupe un quartier entier. Fondé au XVIe siècle, il accueillait principalement des jeunes filles fortunées, issues des plus grandes familles de la ville et destinées au couvent. Celles-ci devaient apporter une dot conséquente pour y être admises, ce qui assura la fortune du monastère et explique sa magnificence. Après avoir payé fort cher l’entrée, nous décidons de nous passer de guide et de nous contenter du petit plan succinct qui nous a été remis pour essayer de nous y retrouver dans ce labyrinthe. Nous commençons par les différents cloîtres qui se succèdent, tous plus charmants les uns que les autres : cour du silence, cloître des orangers, aux murs repeints de couleurs vives, tantôt bleu roi tantôt rouge sang, contrastant joliment avec le blanc des dallages et la végétation. La cour du silence accueillait les novices, jeunes filles rejoignant le monastère "à l’essai" avant de prononcer leurs voeux définitifs. Elles ne pouvaient communiquer avec le monde extérieur et devaient recevoir leurs visiteurs dans une petite pièce sombre, cachées derrière un grillage pour ne pas être vues. Seul un ingénieux système de passe-plats leur permettait de recevoir cadeaux ou courrier de l’extérieur, sans avoir à entrer en contact avec leur envoyeur !

Malgré les nombreux touristes qui s’y pressent, le calme règne à l’intérieur du monastère, du moins si on évite les groupes vociférants, et nous déambulons avec plaisir d’une courette à l’autre. Nous n’avons pas vraiment l’impression d’être au Pérou, le charme qui se dégage de cet endroit est plutôt méditerranéen avec ces murs de pierre peints de couleurs vives, les arcades aux doux arrondis et les orangers ou fleurs exotiques. La taille du monastère est impressionnante : après les cloîtres, nous découvrons la ville proprement dite, celle qui abritait les cellules des soeurs, tellement grande qu’elle est organisée en rues et quartiers, comme une vraie ville. Les logements des religieuses témoignent des disparités sociales de l’époque : ainsi, si certaines cellules sont aussi austères que ce à quoi on pouvait s’attendre pour des personnes ayant fait voeu de religion, d’autres témoignent de l’origine fortunée de leur propriétaire. Chaque soeur pouvait choisir son logement (sans doute en fonction de sa fortune) et ce sont parfois de véritables petites maisons avec plusieurs pièces, une "salle de bain" et ses brocs d’eau et même une cuisine où leurs servantes leur préparaient de bons petits plats. Et oui, ces nonnes fortunées avaient reproduit à l’intérieur du couvent l’organisation sociale du dehors puisqu’elles pouvaient avoir leurs servantes attitrées ! Tout cela est bien surprenant pour un monastère religieux et ces privilèges furent d’ailleurs abolis par un évèque un peu plus soucieux de justice que les autres.

Le monastère vivait en autarcie complète et se devait donc de posséder tous les services nécessaires à la vie d’une communauté importante de religieuses. Nous visitons ainsi la laverie, un ensemble de bacs de pierre en plein air avec une alimentation en eau astucieuse permettant de faire couler le flux d’eau dans le bac utile en bouchant l’écoulement principal. Un peu plus loin, c’est l’immense cuisine aux impressionnants chaudrons et aux murs encore noircis de charbon, le réfectoire attenant, la chapelle et enfin le cimetière où étaient enterrées les religieuses. Le toit de l’église nous offre la plus belle vue sur la ville avec son volcan au loin et nous permet de mieux mesurer l’étendue du monastère que nous venons de parcourir. Mais ce que nous préférons, ce sont toutes ces ruelles étroites, fleuries et colorées, avec leurs jeux de lumière créés par les reflets bleus ou rouges sur les murs peints. Ce monastère est un endroit hors du temps, encore habité de nos jours par une poignée de nonnes, et nous sommes bien contents d’y avoir passé une bonne part de la matinée.

En ce dimanche, la ville aussi semble d’un calme absolu et nous avons bien du mal à dénicher un endroit ouvert où manger. Le contraste avec l’animation frénétique de la semaine est étonnant, apparemment tous les habitants récupèrent de leur soirée bien arrosée de samedi soir. Aussi, nous filons vite vers les faubourgs de la ville en direction du petit village de Yanahuara où nous voulons profiter d’un belvèdère offrant de belles vues sur la ville. Hélas les indications de notre guide sont plus qu’obscures et nous errons un peu au hasard dans le lacis de petites rues qui montent à l’assaut de la colline... un mirador, ça devrait bien se trouver au sommet, non ? Nous atteignons une mignonne petite église perdue sur une toute petite place très calme, ce n’était pas notre but initial mais qu’importe, c’est joli quand même. Nous sommes frappés par le sentiment d’insécurité qui règne dans les villes péruviennes : alors que nous nous sentons à l’aise ici et n’avons pas eu l’impression d’être spécialement menacés, les conseils de prudence à destination des touristes abondent, à croire qu’il serait inconscient d’oser même faire quelques pas tout seul. Les maisons du quartier plus chic où nous nous trouvons sont barricadées derrière plusieurs grilles et verrous, des murs hérissés de tessons de bouteille et parfois même un garde en arme à l’entrée. Vrai problème où paranoia des plus riches dans un pays où une bonne part de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ? Après quelques détours, nous finissons par trouver notre belvèdère qui valait le coup de se donner du mal. Sur cette petite place agrémentée de la sempiternelle église, les couples d’amoureux sont venus flâner ce dimanche et s’embrassent discrètement sous les arcades. De là, la vue est superbe sur toute la ville, alignement de petites maisons s’écoulant des pentes du grand volcan qui la domine. La lumière du soir rend le spectacle encore plus magnifique, finalement nous avons bien fait de nous perdre.

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